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Campagne du Soldat Jean Pierre MADOR

60éme Régiment d'Infanterie

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Jean Pierre MADOR est appelé comme 2ème classe le 6 octobre 1909 au 82ème Régiment d'Infanterie caserne Gudin à Montargis.

Il est mis en disponibilité le 24 septembre 1911, un certificat de bonne conduite lui étant accordé.

Il fait une période au sein du 82ème Régiment d'Infanterie du 1er au 23 septembre 1913.


Rappelé le 1er août 1914 il rejoint son corps le 2 août 1914.



Dans les premiers jours d'août, le 82ème compléta ainsi ses effectifs, et, après le opérations nombreuses de la mobilisation, quitta ses deux garnisons (Montargis et Troyes) par voie ferrée. Les transports de concentration s'effectuèrent avec un calme, un ordre, une précision admirables, et, dans les journées des 5 et 6 août, le régiment débarquait sur les bords de la Meuse, à Lérouville.



Offensive vers Longwy et retraite sur la région au nord de Bar le Duc.


Le 21 août au matin, le régiment, qui cantonne à Gremilly, reçoit l'ordre de se mettre en marche par Longuyon sur la région de Tellancourt. Il passe la nuit du 21 au 22 août en cantonnement d'alerte à Fresnois-la-Montagne, d'où il voit l'incendie embraser la forteresse de Longwy et principalement Longwy-Haut.

Le 22 août, tout le corps d'armée, franchissant la frontière, attaque l'ennemi à 5 heures. La 9ème division attaque dans la direction générale Musson – Messancy. Le régiment, primitivement en réserve, est engagé vers 8 heures du matin. L'attaque se déclenche dans le brouillard, sans préparation possible d'artillerie, et se heurte à des lignes de tranchées très fortement organisées devant lesquelles nous éprouvons des pertes sévères, en particulier devant le village de Saint-Rémy (Luxembourg). Malgré l'allant incomparable et la vaillance de nos troupes, dans ce baptême du feu, tout le corps d'armée est contraint de se replier vers le Sud. Dans ce mouvement ordonné et qui se fait par échelons sur chacun desquels on résiste, le régiment est appelé, le 23 août, à défendre les rives nord et sud de l'Othain, dans le région de Flabeuville, le choc ennemi est toujours violent, nous le contenons toute la journée.

Le 24 août, le régiment marque un temps d'arrêt dans la région de Marville, le 25, dans la région de Damvillers et Peuvillers. Le 26, sur ordre, le régiment passe la Meuse à Vilosnes, dont notre génie fait sauter les ponts aussitôt après le passage. Le régiment s'établit défensivement échelonné, entre Doulcon et Cunel.

Du 29 août au 1er septembre se déroulent une série de combats défensifs très durs, très meurtriers, surtout par l'arrosage presque continu de nos troupes par les 210 ennemis, auxquels nous n'avons à opposer que notre 75 de campagne. L'ennemi réussit néanmoins à passer la Meuse, mais nous avons la satisfaction de l'avoir retardé pendant un certain temps et de lui avoir causé des pertes. A plusieurs reprises, nos batteries de 75, bien qu'elles soient sous le feu des 210 ennemis, réussirent à détruire les ponts de fortune que les Allemands venaient de jeter sur la Meuse.

JOFFRE vient de décider une retraite stratégique afin de regrouper ses armées, de reprendre sa liberté de manœuvre jusqu'au moment décisif où il jugera opportun de reprendre l'offensive : ce sera la victoire de la Marne.

Dans cette retraite vers le Sud, le régiment traverse l'Argonne et va s'établir défensivement sur une ligne au nord de Pretz - Vaubecourt. Toute l'après-midi du 5, le régiment creuse des tranchées et organise sa position. A la tombée de la nuit, le contact de l'ennemi semble retrouvé, car on signale ses tentatives pour déboucher d'Èvres. Une attaque peu importante sur les éléments avancés du 1er bataillon, vers 22 heures, est repoussée.

Le 6 au matin, l'ennemi, renforcé part l'arrivée de troupes fraîches qui ont été amenées en camions et qui ont débarqué toute la nuit à Èvres et environs, commence une préparation d'artillerie laissant prévoir une ruée nouvelle. Un ordre émanant du commandant en chef dit qu'il faut tenir coûte que coûte jusqu'à midi sur ses positions actuelles. Aussi les pertes vont devenir extrêmement lourdes, car l'ennemi attaque furieusement et sans répit pendant toute la journée. Bien qu'excessivement réduit, le régiment ne se repliera que sur ordre vers 15 heures.

Le soir du 6 septembre, le régiment se regroupe dans le ravin au nord du village de Rembercourt-aux-Pots. Dans presque toutes les compagnies, il ne reste plus qu'un officier ou un sous-officier. Le régiment a perdu environ 1.600 hommes dans cette journée et les deux tiers de ses officiers.

Le régiment s'installe défensivement dans le bois Deffuy (nord-est de Rembercourt), à la ferme des Merchines et plus à l'ouest. Le 7 au soir, à la tombée de la nuit, les Allemands prononcent sur le bois Deffuy, en direction de Rembercourt-aux-Pots, une attaque. Une contre-attaque, menée vigoureusement à la baïonnette, rejette l'ennemi et rétablit la situation un instant compromise.

Les 8 et 9 septembre, la situation est relativement calme et reste sans changement. Dans la nuit du 9 au 10, vers minuit, les Allemands déclenchent une attaque très importante sur nos fronts nord et ouest. Cette attaque allemande est menée par deux divisions fraîches de landwher n'ayant pas encore vu le feu. Le 3ème bataillon, à la ferme des Merchines, se trouve un moment en mauvaise position. Le 1er bataillon, en réserve près de Rembercourt, est lancé contre l'ennemi dans la direction de bois au nord-ouest et parvient, par ses feux nourris et bien ajustés, à contenir l'ennemi toute la nuit. A ce moment le régiment passe en réserve dans la région, au nord de Bar-le-Duc, comprise entre Condé et Marats-la-Grande.



La marche en avant après la bataille de la Marne.


L'effet de notre victoire de la Marne se fait bientôt sentir sur tout le front ennemi, et, le 12 septembre, les Allemands se retirent rapidement. La poursuite va se faire environ sur 60 kilomètres. Le régiment arrive le 14 à Boureuilles. Le 15, ayant retrouvé le contact de l'ennemi, installé sur les hauteurs de Charpentry – Baulny – Apremont, il occupe une ligne passant par Cheppy et par Montblainville.

Les 16, 17 et 18 septembre, le régiment exécute une série d'attaques sur les villages de Charpentry et de Baulny pendant que Montblainville est pris. A ce moment, le 82ème ne compte plus que 5 officiers. Les compagnies sont commandées soit par des adjudants, soit par des sergents ; le régiment ne compte guère plus que 600 à 700 combattants.

Le 22 septembre, l'ennemi attaque violemment le front Montblainville – Varennes-en-Argonne. Les trois bataillons défendent avec opiniâtreté leurs positions, mais, dans la nuit du 22 au 23, ils sont acculés au village de Varennes. Le 23 au matin, le régiment se replie en direction de Boureuilles, laissant le 1er bataillon au pont et à la sortie sud-ouest de Varennes, ce bataillon maintient le contact de l'ennemi et couvre le repli du régiment sur de nouvelles positions passant par Boureuilles et Vauquois. Vers le milieu de la journée, sa mission terminée, il rejoint près de Boureuilles le régiment qui, remplacé par d'autres troupes, passe de ce front au repos à Lochères et Clermont-en-Argonne vers le 26 septembre.

Le 1er et le 2 octobre, le régiment quitte Lochères pour s'engager dans la forêt d'Argonne, se dirigeant vers le Nord, il traverse Le Claon, le carrefour de la Croix-de-Pierre et emprunte la Haute-Chevauchée (ligne de partage des eaux entre la vallée de l'Aisne et de l'Aire), où il se heurte à des éléments ennemis à partir de la Pierre-Croisée (sud de la cote 285) qu'il refoule jusqu'au delà du ravin des Meurissons (ouest de la Haute-Chevauchée), sur les pentes sud duquel il s'établit.

Pendant les jours suivants (jusqu'au 15 octobre) la situation respective des deux adversaires semble vouloir se stabiliser. Des fortifications légères de campagne (petits éléments de tranchées) sont creusées, un échelonnement en profondeur dans les différentes unités est pris. Assez loin de notre gauche, de l'autre côté de la route La Chalade – Le Four-de-Paris, nous avons les échos d'une lutte, qui paraît violente dans la direction de Ville-sur-Tourbe.

Dans la deuxième quinzaine d'octobre, le régiment est échelonné en profondeur, sur le front d'un bataillon, vers l lisière orientale de la forêt, avec le 3ème bataillon en première ligne aux Merliers (ferme de Rochamps), le 1er bataillon en deuxième ligne au château d'Abancourt, le 2ème bataillon en réserve entre la Croix-de-Pierre et Neuvilly.

Pendant son séjour en ligne, le 3ème bataillon, renforcé par la 3ème compagnie, attaque Boureuilles. Cette attaque, qui est parfaitement vue de flanc par les Allemands occupant le mamelon de Vauquois, est clouée au sol par le feu ennemi, mais a réalisé une légère avance, qui couvre le flanc du 4ème régiment d'infanterie, notre voisin de gauche. Ce régiment réussit à prendre pied dans les carrières de la cote 263.

Le 31 octobre, les 1er et 2ème bataillons remplacent le 3ème bataillon et tiennent ce terrain jusqu'au 7 novembre.



La guerre des tranchées.


De Clermont et d'Aubréville, où le régiment a cantonné, il va remonter en ligne dans le secteur de la forêt de Hesse (Avant-Garde, Les Allieux, La Barricade). Il lui échoira le terrain occupé par nous sous Vauquois, tenu par les Boches (Bois Noir, Mamelon Blanc, Cigalerie).

La période que fera le régiment sur ce terrain, avec une partie en première ligne devant Vauquois et une autre partie en réserve dans la forêt de Hesse, sera particulièrement dure, d'abord en raison de l'hiver précoce et très rigoureux (il gèle jusqu'à 15° au-dessous de zéro), ensuite, par la précarité des tranchées et des abris inexistants, enfin, à cause des différentes attaques partielles que le commandement demandera au régiment pour faire montre d'activité et gêner l'installation de l'ennemi sur Vauquois.

Nous verrons l'apparition des premiers pieds gelés, baptisés plus tard pieds de tranchées, qui furent très nombreux. Nous aurons quelques pertes par le feu au cours de l'attaque de Vauquois des 8 et 9 décembre, à laquelle prit part le 1er bataillon seul, puis à celle du 20 décembre.

C'est dans cette situation que le régiment passe les fêtes de Noël et du Jour de l'An, à l'occasion desquelles apparaissent les premiers colis envoyés par les familles ou de généreux donateurs aux poilus du front. C'est à ce moment également que le poilu a la tenue la plus pittoresque de toute la campagne par un mélange de l'ancienne tenue et celle, bleu horizon, par le port des chapes en peau de mouton, passe-montagnes, sabots, etc.



L'Argonne - 1915.


Le 15 janvier, le régiment, après un repos de cinq jours dans la région de Brocourt – Parois – Jubécourt, repasse en forêt d'Argonne et tient les lignes de l'Argonne orientale. Ces positions s'étalent sur la croupe 263 et la pente sud du ravin d'Osson, plus à l'ouest.

Le 17 janvier 1915, les Allemands, avec deux bataillons de chasseurs prononcent une attaque précédée d'une préparation d'artillerie importante pour cette époque sur 263. Par suite de la faible densité de notre occupation, l'ennemi réussit à gagner du terrain sur cette croupe, mais son avance est vite limitée par des contre-attaques immédiates et énergiques des compagnies réservées du régiment.

Le 82ème tout en maintenant sa vigilance dans les tranchées, se met à terrasser avec ardeur et bientôt, il aura un secteur mieux organisé défensivement et où commenceront à naître des abris qui épargneront des pertes ainsi que des maladies dues aux intempéries.

Le 16 février, les Allemands prononcent une attaque avec préparation d'artillerie comprenant du gros calibre (apparition du 305 autrichien). Elle comprend deux actions : l'une, la moins importante, au ravin d'Osson, sur la gauche du 2ème bataillon et partie du 1er bataillon. L'infanterie ennemie est arrêtée net par nos feux au moment où elle aborde nos tranchées, les quelques éléments qui ont pu les atteindre sont capturés par une contre-attaque immédiate et de nombreux cadavres restent accrochés dans nos fils de fer. Les Allemands sortent par des sapes dites « russes », causant quelques effets de surprise sur les défenseurs, ils réussirent à s'emparer des premières lignes.

Le réduit qui défend est presque entouré, nos unités sont séparées les unes des autres par des infiltrations allemandes. Quelques sections prélevées sur les deux autres bataillons et avec l'aide des défenseurs primitifs du réduit, rétablissent rapidement la situation par des contre-attaques énergiques et bien conduites. L'ennemi est légèrement refoulé et obligé à se terrer. Ainsi fut conservée cette importante position, bastion avancé de la forêt d'Argonne sur la vallée de l'Aire.

Le régiment tient son secteur cote 263 – ravin d'Osson, avec des alternatives de repos dans les villages de la forêt d'Argonne, tels que Le Claon, Les Islettes, Le Neufour, souvent même dans des camps baraqués qui se construisent en plein bois à 4 ou 5 kilomètres de la ligne de feu. Du 28 février au 2 mars, une série d'attaques de démonstration sont demandées au 1er bataillon, qui occupe le réduit de 263, ces petites actions accompagnent l'attaque et la prise de Vauquois.

Le 28 février, deux sections de la 1ère compagnie et une demi-section de la 3ème compagnie, après une courte mais efficace préparation d'artillerie de campagne, bondissent de leurs tranchées et s'emparent des premières tranchées ennemies sans pertes, tellement l'affaire a été menée rapidement. Une patrouille pénètre même de 400 mètres dans l'intérieur des lignes adverses. Mais l'ennemi déclenche des contre-attaques menées par ses chasseurs, troupe d'élite réservée, qui arrivent à la rescousse. Nous subissons des pertes sérieuses et devons abandonner une partie du terrain conquis.

L'opération est renouvelée sur le même théâtre, sans succès, le 1er mars et le 2 mars. Cependant, le but de ces actions est atteint : nous avons retenu les réserves partielles ennemies devant nous, pendant la conquête de la colline de Vauquois.

Les 3, 4, 5 avril, la division tente une attaque locale à cheval sur la Haute-Chevauchée et à 263, n'ayant pour but que d'élargir nos positions dans cette région. Le 2ème bataillon seul attaque avec les autres régiments de la division. Ce bataillon éprouve d'assez fortes pertes par des tirs mitrailleuses et ne réalise qu'une faible avance dans l'axe de la Haute-Chevauchée. Pendant ce temps, les autres bataillons du régiment ont un rôle passif, tenant les positions des Meurissons et de Bolante.

Dans les premiers jours de juillet 1915, le régiment avait été mis au demi-repos dans les camps baraqués de Monhoyen et de Lenhardt (abords de La Croix-de-Pierre). Là, il préparait, par des reconnaissances en ligne et des exercices aux environs de ces camps, une attaque à laquelle devaient prendre part également les autres régiments de la division. Mais les Allemands prévirent nos intentions en déclenchant, le 13 juillet au matin, une attaque importante qui constituera la seule offensive sérieuse que les Allemands aient menée sur le front occidental au cours de l'année 1915.

Dès 3 heures du matin, ce jour-là, l'ennemi entame une violente préparation d'artillerie par obus asphyxiants sur tout notre front d'Argonne, de Boureuilles à Binarville. L'ennemi veut tâcher d'atteindre la voie ferrée de Sainte-Menehould à Verdun. Il espère menacer ainsi cette forteresse que les Allemands ne se consolent pas de ne pas avoir fait tomber en 1914.

Le régiment est alerté dans ses cantonnements dès le déclenchement de la préparation. Entre 5 et 6 heures, successivement, les bataillons sont envoyés vers la bataille pour s'opposer aux progrès de l'ennemi.

Par les abords de la Haute-Chevauchée, les trois bataillons échelonnés et en formations très diluées, arrivent à pied d'œuvre pour le combat, avec relativement peu de pertes, étant donnés les tirs nourris d'artillerie et les gaz stagnants surtout dans la région de la Maison Forestière. Au moment où le régiment intervient dans la lutte, les Allemands atteignent, dans leur progression, la ligne générale fond du ravin de Cheppe – La Pierre Croisée – Fille Morte. Ils n'ont plus aucune force devant eux, croient pouvoir marcher librement en direction de Clermont, mais ils se heurtent aux troupes réservées qui, par leurs contre attaques énergiques à la baïonnette et à la grenade, vont les arrêter, même les faire rétrograder, et rétabliront définitivement la situation de la division un instant très compromise.

Les trois bataillons du 82ème vont s'engager côte à côte, dans l'ordre normal de la droite à la gauche, sur le front ravin de Cheppe – Pierre-Croisée, ayant pour objectif la crête reliant la cote 263 à la cote 285. Les trois bataillons s'engagent brillamment.

Le 14 juillet au matin l'ordre est donné d'appuyer une attaque vers l'ancien secteur de la Haute-Chevauchée, au nord de 285, mais la disproportion entre notre artillerie et l'artillerie adverse, ainsi que les feux de nombreuses mitrailleuses allemandes font avorter cette tentative. Au centre et à droite, les deux autres bataillons tentent au cours de la journée et des jours suivants, de porter leur front plus en avant, mais sans y réussir. Force est au régiment de se terrer sur tout le front atteint le 13, afin de pouvoir s'accrocher solidement au terrain au cas d'un deuxième acte possible dans l'offensive ennemie.

Le 20 juillet en fin de journée, l'ennemi veut compléter ses gains et concentre ses efforts, après une préparation d'une intensité inouïe, sur le réduit de 263, il s'en empare. Les défenseurs sont pour la plupart tous tués ou enterrés et le réduit fumant ne présente plus qu'un terrain bouleversé et méconnaissable.

Le régiment a collaboré à l'enrayage de l'avance boche. Par sa ténacité, il maintient l'ennemi pendant les quatorze jours qui suivent, et quand celui-ci semble avoir renoncé à toute velléité de progression, quand le 82ème a organisé déjà d'une façon très solide ce terrain repris en barrière efficace, il est relevé.

Le calme s'est rétabli sur le front d'Argonne, le régiment reprend ses séjours à peu près réguliers en ligne et au repos (Lochères – Fleury-sur-Aire) (Meuse). Il lui échoit, à la fin d'août, comme secteur dans la division et qu'elle conservera longtemps, celui de la Fille-Morte, à l'ouest de la Haute-Chevauchée. Chaque bataillon travaille activement à la consolidation de la première position quand il est en ligne, à l'établissement d'une deuxième position (Courtes-Chausses) comprenant des lignes de tranchées bien agencées, des blockhaus bétonnés de mitrailleuses et même quelques pièces de 65 de montagne qui ne doivent se révéler, par un tir à vue et de plein fouet, qu'en cas d'attaque sur la Fille-Morte.

Le régiment tiendra le terrain Fille-Morte – Courtes-Chausses par ses propres moyens, sans autre relève que celle intérieure entre les bataillons, jusqu'aux premiers jours d'avril 1916. La lutte des engins de tranchées s'intensifie. L'emploi par l'ennemi de minen de gros calibre, jusqu'à celui de 340, devient au bout de peu de temps quotidien, la contre-partie est donnée par nous, au moyen de nos 75, 155 et de nos bombes de 58. Les mines, qui avaient fait leur apparition dès l'hiver 14 – 15, mais n comportaient au plus à ce moment que quelques centaines de kilos de cheddite et ne donnaient que des effets de peu d'étendue, deviennent beaucoup plus fréquentes, les charges donnent lieu à de vastes entonnoirs (25, 30, 50 mètres de diamètre) qui causeront la plus grande partie des pertes en ligne.

Le 27 septembre 1915, deux jours après notre grande offensive de Champagne, la division va essuyer le contre-coup d'une diversion que l'ennemi tentera sur notre front.

Vers 9 heures du matin, les Allemands, après avoir fait sauter 14 mines importantes bouleversant complètement nos premières lignes, depuis la cote 285 incluse jusqu'à l'ouest de la Fille-Morte, commencent un bombardement excessivement nourri : torpilles en ligne, 105 et 210 sur les lignes de soutien, les ravins et les arrières, en plus quelques gaz vers nos batteries. Vers 11 heures, après avoir occupé les premières lignes, dont tous les défenseurs sont tués ou blessés, l'ennemi descend vers la ligne de soutien par les boyaux nombreux de la position. La poussée est particulièrement forte à notre droite. La 10ème compagnie, par se feux bien ajustés et ses grenades empêche les Allemands de pénétrer plus avant. Surpris de cette résistance, l'ennemi hésite un moment, puis se replie dans nos premières lignes en abandonnant des cadavres sur le sol.

Dans le courant de l'après-midi, après avoir été copieusement arrosé d'obus en route, il atteint la tranchée de soutien. Deux compagnies contre-attaquent avec succès à la tombée de la nuit nos anciennes premières lignes du centre et de droite, les reprennent et s'y installent. A gauche, deux autres compagnies débouchent magnifiquement avec la plus grande crânerie sur la croupe observatoire dénommée « 09 », mais éprouvent des pertes extrêmement lourdes et ne peuvent reprendre 09 malgré une deuxième tentative, le lendemain matin 28, elles assurent le raccordement des tranchées reprises à droite et au centre avec la gauche de la tranchée de soutien.



1916.


Dès le mois de janvier 1916, notre haut commandement a des indices que l'ennemi prépare une grosse affaire qu'il déclenchera le plus tôt possible, dès que la saison le lui permettra. Ce sera la grosse offensive allemande sur Verdun.

Le régiment tient un secteur très particulier où l'on fait une guerre toute spéciale, la guerre de mines. Il sera laissé encore assez longtemps en Argonne, malgré la nécessité où se trouve notre commandement d'envoyer tour à tour les divisions à la grande bataille de Verdun. Une trêve de deux mois (avril – mai) passée dans l'Argonne orientale (Merliers) dissipera un peu la tension nerveuse que nécessite la tenue d'un secteur tel que la Fille-Morte.

Le régiment, après ce demi-repos au secteur des Merliers, est remis dans son ancien secteur, reconquiert la crête de la Fille-Morte, perdue avant son arrivée, et y reste jusqu'aux premiers jours de septembre 1916.



Jean Pierre MADOR passe au 60ème Régiment d'Infanterie le 17 mars 1916.

Il arrive au corps le 18 mars 1916.



Après un long voyage par Vaucouleurs, Pagny-la-Blanche Côte, Colombey-les-Belles, nous arrivons, le 14 mars, dans le pays de Toul. Le 60ème est placé dans les villages coquets de Lucey et Bruley; un bataillon est caserné à Toul même. C'est là que les renforts arrivent : 15 officiers, 61 sous-officiers, 92 caporaux, 15 clairons, 6 tambours et 1.283 hommes de troupe, appartenant à dix-sept régiments différents.

Les journées sont consacrées au travail et à la manoeuvre jusqu'au jour où le 7ème C. A. tout entier est mis une deuxième fois à la disposition de l'armée de Verdun. Le 1l avril, le régiment part en autos et revient à Haudaiuville et Belrupt. Le 12 avril, il monte dans le seçteur d'Eix.

Du 12 avril au 4 mai, on occupe le secteur d'Eix, cette période ne fut pas très longue pour le régiment. A cette époque, le fort de Vaux n'est pas encore pris, et toute l'activité de l'ennemi est orientée de ce côté. Le secteur confié à la garde du régiment est au pied des côtes de Meuse. Le 1er bataillon s'installe à droite de la route d'Eix, aux tranchées de la cote 250, le 3ème bataillon occupe La Fiévetrie et les ouvrages de la route d'Étain, le 2ème bataillon tient la ferme Bourvaux, le bois Carré, le ravin du Ruisseau de Tavannes. L'hiver a transformé toute cette région en marécage. Il y a de l'eau partout. Les hommes passent leur journée dans les tranchées-abris où la paille est complètement noyée dans l'eau, la nuit, ils travaillent, dans la vase jusqu'à mi-jambe, à la consolidation des réseaux et à l'établissement des nouvelles tranchées. A ce régime nous perdons bien vite beaucoup de monde. Pieds gelés et entérite à forme grave se multiplient. Au bout de quinze jours, les effectifs fondent à vue d'oeil.

Ailleurs, le bombardement est incessant et chaque jour amène quelques deuils nouveaux. Du 25 au 27 avril, la brigade est relevée et revient à Haudainville. Le 1er mai, le régiment gagne Pargny-sur-Saulx et Maurupt et il reste là jusqu'au moment où il est relevé après vingt jours d'effroyables bombardements.

Le 20 mai, la division s'embarque en chemin de fer aux gares de Revigny, Blême et Saint-Julien. Elle se dirige vers les Vosges et quitte la sinistre région de Verdun.



Dans les Vosges.


Du 22 mai au 21 juillet, le 60ème occupe un secteur des Vosges. D'abord c'est l'Alsace, les corps sont répartis sur un vaste front, dans un pays où les communications se font avec lenteur et difficulté. Sur un front de 60 kilomètres, on trouve juste quelques batteries de position de gros et de moyen calibres. Il n'y a pas d'action d'infanterie, ou si peu, au moins dans la partie du front qui nous est confiée.

Le 22 mai, le débarquement effectué à Laveline, nous allons à Bussang, où nous parvenons le 2 juin. Ce voyage de dix jours est effectué par un temps splendide. Le régiment est mis à la disposition de la 66ème D. I. et s'en va tenir à Saint-Amarin.

Le 17 juin il s'installe dans la région de la Schulcht, du Honeck et du Reichacker. Il est chargé de l'occupation de Hilsenfirst. Dès le 23 juin, l'organisation du régiment dans ce secteur est terminée. Le 60ème occupe trois grands centres de résistance. Le 3ème bataillon garde Storckensohn, le 1er bataillon s'installe à l'Hilsenfirst même. Le 2ème bataillon le Langeldeldkopf. Le colonel et les téléphonistes sont au camp Cermet et la brigade villégiature au camp Peyrou.

Il n'a pas cessé de pleuvoir à torrents pendant le mois que nous avons passé là. La fraîcheur était intense, même au mois de juillet, en raison de ces pluies sans fin, et chaque jour il fallait tenir le feu allumé. Le travail dans le secteur était double. Il fallait veiller et sans cesse renforcer l'organisation de la défense. Au début, l'activité de combat était nulle dans les tranchées de la première ligne. Au bout de quelques jours, il n'en était plus de même. Troublé dans sa tranquillité par l'activité de nos patrouilles et les taquineries de nos grenadiers, l'ennemi réagit bien vite à coups de torpilles. Vingt-quatre jours s'écoulèrent dans ces conditions.

Le 17 juillet, nous sommes relevés et nous rentrons à Gérardmer par Kruth et La Bresse. Le 21 et le 22, le régiment était embarqué à Laveline, à destination de la Somme. C'était la deuxième fois que nous montions vers là Picardie, et le hasard voulait que nous allions retrouver les cantonnements où nous avions séjourné deux années auparavant.



La Somme.


Le 17 juillet, après un bombardement prolongé, l'attaque se produit. Le 20ème C. A. repousse l'ennemi du terrain qu'il avait gagné au sud de la Somme, vers Frise. Poussant plus loin ses succès, en liaison avec les Anglais, il était parvenu le 20 juillet au delà de la deuxième position allemande et il occupait toute la ligne du chemin de fer de Combles à Cléry, au nord de la Somme.

La 41ème D. I. est engagée tout d'abord. Le 60ème arrive le 2 août au camp de Vaux, où il devra supporter les incursions fréquentes des avions ennemis et le bombardement par obus de gros calibres.

Le 7 août, le 3ème bataillon arrive au Chapeau-de-Gendarme, près de Curlu. Le 9 août, le même bataillon gagne l'est de Curlu, dans un coin particulièrement difficile. Il a 7 tués et 6 blessés. Le lendemain, les deux autres bataillons arrivent. Le vendredi 11, le régiment entre en ligne. Il y restera sans désemparer jusqu'au 20 août et il devra presque chaque jour fournir un nouvel effort. Cela lui vaudra des pertes nombreuses.

Le 11, en vue de l'attaque projetée, il faut s'emparer de la corne N du bois de Hem. A 18 heures, après quatre heures de préparation, deux compagnies bondissent et d'un seul élan atteignent leur objectif, faisant 95 prisonniers de trois régiments différents et prenant un parc de mitrailleuses. L'affaire a donc eu plein succès. Elle nous coûte cependant 9 tués et 47 blessés.

La nuit est assez agitée. L'ennemi, qui dispose d'une artillerie très puissante, réagit violemment. Il a le sentiment obscur qu'il se trame quelque chose d'important contre lui. De fait, la journée du 12 sera celle de l'offensive générale.



Journée du 12 août 1916.


Dès le grand matin, les coureurs de la brigade apporteront l'ordre préparatoire du corps d'armée. L'attaque générale doit se faire dans l'après-midi. Il s'agit de prendre les grandes tranchées de Celles, du Hanovre et de Heilbrom, qui constituent la droite de la ligne de défense établie de Maurepas à Cléry.

Les 2ème et 3ème bataillons sont en avant, le 1er reste en réserve. L'objectif atteint, les troupes doivent pousser vers l'est, de façon à prendre possession de tous les observatoires qui permettent des vues directes sur la nouvelle ligne que les Boches ont déjà organisée en arrière (tranchée de Feyratt, Terline, Mossoul).En somme, l'attaque a donné de bons résultats.

L'ordre est donné de s'emparer du bois de Riez et de la route de Maurepas-Cléry jusqu'au point 435. Le régiment de son côté doit s'avancer à l'est de la tranchée de Hanovre et s'installer sur les crêtes en vue d'une attaque ultérieure. A l'heure fixée, les éléments du 60ème s'élancent et occupent les points prévus.

Un groupe d'Allemands munis de mitrailleuses vient s'installer rapidement au point 435, barrant ainsi le chemin vers l'est. La soirée et la nuit sont très agitées. L'ennemi réagit très violemment par son artillerie, qui nous cause beaucoup de pertes. Le 14 et le 15, ce chiffre est augmenté de 28 tués et 72 blessés.

Le 16 août, nous devons appuyer par notre gauche. A 14 heures, l'artillerie commence son oeuvre. Elle gronde formidablement. Le 60ème à lui seul peut compter sur l'appui de 3 batteries lourdes et de 9 batteries de 75, en tout 48 pièces qui tirent à une cadence extrêmement rapide. A 17h 15, les vagues d'assaut sortent d'un élan magnifique à la suite des chefs de section. A 18 heures, tous les objectifs sont conquis.

Malheureusement ces succès ne sont pas sans nous causer des pertes cruelles. Nous avons 34 tués; 159 blessés. En attendant, le bombardement sévit sans interruption sur nos lignes. Le 17 août, nous comptons encore 12 tués et 34 blessés.



Le 18 août - Attaque du point 435.


Le point 435 n'a rien de bien extraordinaire. Situé sur la route de Maurepas à Cléry il est le point de départ d'un boyau, dit des Glands, qui se dirige vers l'est, surtout il donne des vues sur la tranchée de Fryatt, nouvellement organisée. Entre les mains de l'ennemi, il devient un point d'appui qui lui permet de s'opposer efficacement à toute avance de notre part vers l'est. Aussi bien, le Boche tient-il de plus en plus à la garder au fur et à mesure que nos efforts pour la conquérir lui en révèlent l'importance. Il a mis là de ses meilleures troupes, celles qu'il fait venir généralement pour rétablir une situation compromise. Notre commandement tient à en finir avec cet obstacle et, le 18 août, il confie au 1er bataillon du 60ème le soin de l'enlever.

Il s'agit de prendre pied sur la route Cléry-Maurepas, dans un rayon de 200 mètres autour du point 435, de s'y installer et de pousser dans le boyau des Glands, de manière à conquérir les observatoires. Le 3ème bataillon doit procéder à l'attaque avec deux compagnies, et sa « mitraille ». Les troupes prennent leur place avant le lever du jour et cette manoeuvre compliquée peut se faire assez facilement grâce au brouillard qui permet de dissimuler le mouvement. L'artillerie doit exécuter un tir de destruction très violent par obus de 220. A l'heure H, les fantassins sortiront en trois vagues, d'une section chacune, une section restant en réserve. Quand tout sera terminé, les deux compagnies feront face l'une à Cléry et l'autre au bois des Riez. A 9 heures, le tir d'artillerie commence. Il est d'abord trop long. Petit à petit, après bien des tâtonnements, il est réglé sur 435. A 14h 43, deux minutes avant l'heure fixée, les sections partent conformément aux ordres reçus. Elles s'en vont d'un élan magnifique malgré les coups de 220 qui tombent très près et blessent plusieurs soldats. L'ennemi est malheureusement sur ses gardes. Dès le départ de nos vagues, il ouvre un feu nourri de mitrailleuses et de fusils. Les trois sections progressent à vive allure. Soudain, sur leur flanc droit, s'allume le feu terrifiant de trois mitrailleuses qui sèment la mort parmi les assaillants. Une section tournoie et reflue vers l'arrière.

La section de réserve est aussitôt engagée, mais elle peut à peine avancer de 50 mètres, au prix de pertes cruelles. Au total, de ce côté, l'avance est insignifiante et coûte trop cher. A gauche, la compagnie lutte avec un courage égal, mais subit des pertes encore plus fortes, du fait de mitrailleuses situées à 800 ou 900 mètres sur son flanc gauche. Les hommes tombent les uns après les autres : on en voit tomber jusqu'à trois à la fois. Si quelques hommes ont pu s'approcher de l'objectif, les Allemands les accablent d'une collection de grenades et tout cela multiplie les victimes.

Les Allemands sont en force au point 435, il en arrive de l'arrière par groupe de 8 qui marchent à travers champs. Un obus de 220 tombe au milieu d'un de ces groupes.

La nuit tombe peu à peu; les groupes se reforment, les isolés rentrent dans leur section. Les brancardiers et des volontaires se hâtent pour rechercher les blessés et les transporter en arrière.

L'attaque reprendra pendant la nuit à la grenade, sans préparation d'artillerie. On s'efforcera de réaliser par surprise ce qu'on n'a pu obtenir par la force. L'attaque est aussitôt éventée par l'ennemi et doit s'arrêter après une centaine de mètres. Cette journée nous avait coûté 2 officiers tués, 6 officiers blessés, nous avions 39 tués, 90 blessés et un certain nombre de disparus sur le sort desquels on ne pouvait guère se leurrer d'espoir.

Cette fois l'épuisement est complet. La relève se fera le lendemain, par une nuit singulièrement agitée où nous aurons la douleur de perdre encore 8 tués et 6 blessés. Le régiment rentre à Suzanne et de là, il gagne par autos les villages du Hamel, puis de Villers-Bretonneux. C'est là qu'arrivent les premiers renforts.

Le 27 août, toute la division est regroupée dans la région de Cachy-Gentelles. Pendant que le canon gronde sans trêve et que l'horizon est illuminé sans cesse par les éclairs de la bataille lointaine, les régiments réparent leurs pertes et se préparent à rentrer dans la fournaise au premier signal.



La deuxième affaire de la Somme - du 11 au 16 septembre 1916.


Donc, le 8 septembre, l'ordre du jour du C. A. nous avertit qu'une grosse affaire se prépare. Le soir même, le régiment quitte ses cantonnements de Villers-Bretonneux et, après trois jours de marche, arrive dans les parages du bois de Hem. Depuis notre départ, la ligne est déplacée à notre avantage.

Le 11 septembre au soir, le 3ème bataillon est à la grande carrière, à 400 mètres au nord-est du bois de Hem. Le 2ème occupe les tranchées de Gringembre et de la Déconfiture, un peu en arrière. Le 1er bataillon est en réserve de corps d'armée au Chapeau-de-Gendarme.

Le lendemain on devait enlever Bouchavesnes. Progressant par bonds, en fin de journée le 3ème bataillon est au bois Marrièré, et au sud de Bouchavesnes, le 2ème au P. C. Messimy, le 1er au bois des Riez

Le lendemain 13 septembre, vers 9 heures, les Boches déclanchent un bombardement effroyable par obus de gros calibre, qui dure sans accalmie jusqu'à 16 heures. Les projectiles s'abattent en nombre énorme sur le village occupé alors par notre 1er bataillon, sur les carrières où sont les deux autres bataillons, sur la ferme du Bois-Labbé. A 16h 25, la contre-attaque attendue se produit. A 18 heures, l'ennemi essaie encore un effort, c'est le dernier de la journée. Le feu de l'artillerie s'apaise avec la nuit. Ceux qui ont pris Bouchavesnes l'ont gardé. Nous avions 34 tués au régiment et 116 blessés.

La journée du 14 septembre fut, elle aussi, des plus difficiles. Les Boches pendant la nuit avaient opéré leur rétablissement. Ils avaient amené une artillerie formidable dont les effets vont se faire sentir dès le début de la journée et influer lourdement sur le résultat final de nos efforts.

Quand arrive l'heure H, 13 heures, l'on peut se rendre compte à première vue que la préparation est à peine ébauchée. Le tir manque de précision : à l'aile gauche, le long du village, on aperçoit nettement les mitrailleuses allemandes intactes. L'artillerie boche, de son côté, est très active : son feu, tout à fait violent, est dirigé contre le village et les abords de l'ouest.

A l'heure prescrite pour l'attaque, une première vague débouche des tranchées. Les mitrailleuses et les tirs de barrage arrêtent la plupart des hommes constituant la vague d'assaut. Celle-ci doit s'arrêter bientôt. A quelque temps de là, une deuxième tentative est faite, tout aussi infructueuse. Le tir ennemi devient de plus en plus violent et précis. On voit à ce moment les tirailleurs boches sortir de leur tranchée et entamer la contre-attaque. Le bataillon, placé à la gauche du régiment recule.

Vers 16 heures, notre artilllerie intervient plus fortement et avec plus de précision. C'est une nouvelle préparation qui commence, mieux conduite que la précédente. A 17 heures, les hommes reprennent l'attaque et progressent, malheureusement les pertes s'accumulent. Il faudra bientôt s'arrêter et s'organiser sur place. La journée, fort peu féconde en résultats heureux pour nos armes, nous coûtait 47 tués, 257 blessés et 50 disparus.

Le lendemain, le régiment passait en deuxième ligne. Le 16, il est conduit en autos à Domart-surla-Luce, où il séjournera jusqu'au 19 septembre. Le 23 septembre les unités de la division sont embarquées à Prouzel. Le 25, nous débarquions à Coolus, près de Châlons-sur-Marne. Notre repos, c'était l'occupation des tranchées de la Main-de-Massiges.

Massiges.


Du 4 octobre au 30 décembre 1916, le régiment occupe une partie du secteur de la Main-deMassiges, en Champagne. L'on désigne de ce nom une manière de plateau aux parois assez escarpés vers l'ouest et vers le sud. La ligne de faîte suit un tracé sinueux qui dessine sur la carte de l'Étatmajor au sud-ouest les trois doigts d'une main, et au nord le creux d'une oreille. Vers l'est, le plateau s'élargit et descend en pente douce vers Ville-sur-Tourbe. Une carrière, dont l'excavation circulaire apparaît de loin comme un cratère, est creusée au sommet.

Aucune affaire importante ne vient rompre la monotonie de cette longue période de stagnation qui commence vers les pluies diluviennes d'automne. L'activité des hommes se tourne du côté des tranchées à consolider et à entretenir, menacées qu'elles sont de perpétuels éboulements. Il faut sans cesse fournir les corvées pour racler la boue, surtout, il faut chasser les rats qui se sont multipliés dans les régions de Champagne dans des proportions énormes.

Le secteur n'est pas très calme. C'est le coin d'élection des grosses torpilles. Ce secteur nous coûtera 203 blessés et 13 tués. Ils reposent tous dans le cimetière de Maffrécqurt.

De temps à autre, le Boche, qui voudrait bien savoir à quoi s'en tenir sur l'état de nos troupes et leurs dispositions, essaie quelques coups de main. Il a du reste l'avantage de la position. Le 28 novembre, vers 4h 30 du matin, il s'efforce de « cueillir » le petit poste du Bouchon, dans le ravin des Tombes. Le 22 décembre, par une nuit extrêmement noire, vers la fin de la relève, un tir d'encagement extrêmement vif se déclanche. Un détachement de Stosstruppen, à la faveur de la tempête, attaque deux de nos petits postes : Pl et le Bouchon, et peut faire 9 prisonniers et enlever 2 travailleurs.

Quand arrive la fête de Noël, le régiment est aux tranchées. Les messes de minuit sont multipliées aussi largement que possible dans les abris de première et de deuxième ligne, à la grande satisfaction des poilus qui ne sont pas de garde. A ce moment on parle de relève. Elle est officiellement décidée pour le 30 décembre. Le 1er janvier au matin, les régiments s'ébranlent sur les routes qui mènent vers le sud.



La grande offensive de 1917 - le 16 avril.


Lorsque se lève l'aube du 1er janvier, le régiment s'en va au sud de Sainte-Menehould, et le 7, après des marches pénibles, on arrive au terme du voyage : Ramerupt et Chaudrey, dans le voisinage d'Arcis-sur-Aube et du camp de Mailly. Nous séjournons dans cette région jusqu'au 23 janvier, c'est la période des grands froids, et cette année-là elle fut particulièrement longue et dure.

Au 24 janvier, nous nous dirigions sur la région de Reims, Sézanne, Le Breuil, le 3 février nous arrivons à Courcelles-Saint-Brice, Champigny, jamais marche ne fut aussi pénible à cause de la température. Le régiment est envoyé presque aussitôt dans le secteur nord-est, aux Cavaliers de Courcy et à La Neuvillette. Il s'agit vraiment, cette fois, d'un secteur de « père de famille ». Après un court séjour dans les villages de Pouilly et de Janvry, le régiment arrive au bivouac, le 29 mars, au camp Chenay, près de Châlons-sur-Vesle. La même nuit, il prend possession du secteur du « Godat », sur le canal de l'Aisne. C'est le point où la division doit attaquer dans la prochaine offensive. Le moment est venu de faire les derniers préparatifs, c'est en ce sens que, l'activité du régiment va se déployer jusqu'à la date mémorable du 16 avril.



La préparation de l'offensive.


La partie du front confiée à la garde du régiment s'appelle alors le secteur du « Godat ». En cet endroit le canal de l'Aisne à la Marne s'infléchit vers l'est et se rapproche de la route nationale n° 44 qui va de Reims à Laon. Nous occupions l'écluse du Goudard, le château et le moulin du « Godat », le moulin de la Neuville, en face et à l'est des villages de Cauroy et d' Hermonville.

L'ennemi va-t-il, le 4 avril, dans le but soit de nous prendre du monde, soit de nous rejeter au canal, tenter une attaque partielle à gros orchestre. Donc ce jour-là, vers 15 heures, un tir effrayant se déclanche soudain du côté boche. Torpilles et obus de gros calibres s'abattent avec précision sur les passerelles du canal et les ouvrages de première ligne. Le château du Godat est particulièrement visé, les 210 y pleuvent littéralement. Le bombardement s'étend à notre gauche dans le secteur de Neuville et gagnent Sapigneul. Après trois heures de bombardement violent, la densité du feu sur les premières lignes décroît. Un tir d'encagement s'établit sur le secteur de notre 2ème bataillon.

Dès la première minute les réserves sont alertées. A 18h 25, on voit les Boches sortir de leurs tranchées, ils se présentent sur notre front en trois colonnes d'assaut fortes chacune de 200 hommes environ. D'autres troupes assaillent le secteur des zouaves et parviennent à y prendre pied. Devant nous, l'ennemi est arrêté sur bien des points par notre feu ou par l'obstacle qu'offraient encore nos réseaux insuffisamment démolis. De ce chef son attaque est ralentie. Des groupes venant par la gauche s'infiltrent pourtant dans les bastions Puebla, Solférino, Malakoff, après les avoir débordés et cernés. Les deux ouvrages les plus importants, le château du Godat et le bastion Magenta, résistent avec une énergie souveraine.

L'ennemi lance trois assauts successifs contre la redoute. Chaque fois il est repoussé avec pertes. Sur la gauche, le Godat tient toujours, lui aussi. La 7ème, de son côté, n'est pas restée inactive. Elle a reçu par des feux nourris l'attaque dirigée par le canal lui-même. Elle passe bientôt à la contre-attaque

La nuit commence à s'épaissir. A la grenade on refoule les Boches qui s’efforcent toujours de déborder les îlots de résistance par les ailes et par le sud. Les assiégés tiennent bon et passent, eux aussi, à l'offensive. L'ennemi recule partout, mais en offrant partout une vive résistance. Enfin nos hommes peuvent occuper à nouveau les ouvrages momentanément perdus. A 4h 50 tout était terminé. Le Boche a disparu laissant entre nos mains 12 hommes et 1 mitrailleuse. On retrouvera par la suite plus de 50 morts, dont un officier abandonné par eux dans nos lignes. De notre côté, nous avons 18 tués et 37 blessés.

L'alerte passée, on se remet au travail avec acharnement, cependant que les chefs règlent le dispositif de l'attaque prochaine. L'annonce officielle de l'entrée en ligne des États Unis à nos côtés ranime et exalte tous les courages. Le 15 avril le préparatifs sont à peu près terminés à cette date. Le 9, ont lieu les tirs de réglage, le 10, l'artillerie et les canons de 58, fort nombreux commencent les tirs de destruction.

Le 15 avril, l'artillerie devient plus active. Les pièces gigantesques de l'A. L. V. F. entrent en action sur le fort de Brimont. Chaque nuit, des patrouilles vont explorer les lignes ennemies et les réseaux où les brèches se multiplient. Le régiment es prêt.



L'offensive du 16 avril 1917.


La préparation d'artillerie a duré six jours; néanmoins ce ne sont pas les formidables canonnades de la Somme, on dirait qu'on est plus économe de munitions. L'ennemi, à qui des documents pris aux zouaves dans l'affaire du 4 avril avaient donné des renseignements précieux, se renforce et multiplie ses batteries.

Nous devons tout simplement prendre le fort de Brimont pour dégager Reims. Le régiment opérera dans le secteur compris entre la redoute des Poilus et celle des Japonais. Il marchera par bataillons successifs, dans l'ordre normal. Chacun a sa mission bien définie. Le 1er bataillon doit donner l'assaut à la première position, l'enlever d'un seul bond et se diriger sans désemparer, en prenant juste le temps nécessaire pour remettre de l'ordre dans les compagnies, vers le bois du Champ-du-Seigneur. Il enlèvera cette position et s'y installera à H + 1h 20. Le 2ème bataillon, qui aura suivi de près les colonnes d'assaut pour éviter les barrages, passera en première ligne et se portera à l'attaque de la voie ferrée et de la tranchée de Transylvanie qui la couvre. Cela fait, il progressera vers l'objectif final par le bois Fayel où il doit être parvenu à H + 5h 50. Au 3ème bataillon est dévolu l'honneur de coopérer à la prise de Brimont. Après avoir procédé au nettoyage des tranchées conquises, il se mettra à H + 5h 30, à la disposition de la 28ème brigade.

Dans la soirée du 15, l'heure H est connue officiellement. Le jour choisi est le 16 avril, l'heure H est 6 heures du matin. Pendant la nuit, tous les bataillons de la division prennent leurs emplacements, dans une obscurité complète et au milieu des rafales de pluie, de neige et de vent. L'heure du départ va sonner.

A l'heure fixée, 5h 30, la première ligne est enlevée. Nous avons enlevé des mitrailleuses, des minen, un canon revolver sous coupole blindée, 7 pièces de 77, beaucoup de morts et de blessés allemands, affreusement mutilés, sont étendus dans les abris ou dans les tranchées conquises. Malheureusement, nous avons quelques morts.

Le 2ème bataillon suit dans les conditions prévues. Il a quelques pertes au départ. A l'heure prescrite, éclairé par ses patrouilles, il se prépare à attaquer la voie ferrée. Un glacis de 600 mètres nous en sépare qui est balayé par les rafales de 150 et de 210. Nos 155 entrent en action et font de jolie besogne. L'assaut est donné à 8 heures. Les vagues progressent par la plaine et par le boyau de Pola. Dans le boyau, une mitrailleuse boche s'obstine à tirer. Le 2ème bataillon escalade le talus de la voie ferrée. Les Boches sortent de leurs abris et de leurs niches et se sauvent à l’arrière de nos lignes en levant les bras. A notre droite, le 35ème progresse, lui aussi, et enlève le village de Berméricourt. Le bataillon continue son ava et arrive devant le bois Fayel. Des canons boches, installés à la lisière du bois, à 200 ou 300 mètres, continuent à tirer, sans répit, servis par des artilleurs d'un sang-froid remarquable.

Vers 11 heures le 3ème bataillon suit de son côté l'itinéraire prescrit, quelque peu talonné par un tir de 88. En trois heures la division a progressé de 3 kilomètres en moyenne; le 60ème a marqué même une avance de 4 kilomètres. Vers midi, la scène change : notre avance est enrayée. Des masses ennemies apparaissent à notre gauche. On voit des files énormes de camions qui arrivent auprès d'Orainville : des troupes en descendent qui se forment aussitôt pour la contre attaque. Les obus de 105 arrivent par rafales incessantes, tirées de derrière nous. Les balles sifflent partout.

D'autre part, les Allemands, tranquilles pour leurs positions du mont Spin, du bois Macaron et du bois Fin, nous tire dans le dos. La droite avançant toujours, notre front s'étire de plus en plus et il existe bientôt un trou considérable entre la 14ème et sa voisine de gauche. Les Boches s'en aperçoivent et c'est de ce côté qu'ils lancent leurs contre-attaques incessantes. Leur artillerie ouvre un feu d'enfer. La nôtre, au contraire, se tait presque complètement. Le 75 est d'ailleurs impuissant à pareille distance. Quant aux lourds, ils ne peuvent parvenir à déterminer exactement l'emplacement de nos troupes.

Les bataillons suspendent leur progression et s'organisent rapidement sur place. Les Allemands arrivent le long de la voie ferré et se dirigent vers le bois du Champ-du-Seigneur. Ils manoeuvrent pour nous couper notre base de départ. Ils sont du reste admirablement dirigés et renseignés par leurs nombreux avions. On s'établit sur une ligne perpendiculaire à la tranchée de Transylvanie pour conserver le bénéfice de notre avance et faciliter le repli des autres bataillons. L'attaque allemande devenant de plus en plus pressante, il faudra se replier en combattant jusqu'au boyau de Berméricourt. Les 1er et 2ème bataillons, menacés plus que personne, se replient sur Berméricourt et la voie ferrée au passage de laquelle ils éprouvent de grosse pertes. Plusieurs officiers blessés restent sur le terrain.

A 16 heures, le régiment tient toujours le boyau de Berméricourt et la tranchée de Cologne. Les efforts de l'ennemi viendront se briser contre ce môle de résistance. Nous pourrons ainsi soutenir et assurer le repli de notre droite. La nuit arrive su ces entrefaites. Le régiment peut compter ses pertes. I1 a 82 tués, dont 6 officiers, et 415 blessés, dont 18 officiers. Un certain nombre de disparus sont signalés et parmi eux 5 officiers, dont 2 sont morts et 2 autres blessés, on le saura par la suite. Nous avons pris 2 officiers boches et 128 hommes, fantassins ou artilleurs. Notre butin, qui a été très considérable à un moment donné, ne comprend plus que 8 canons, 1 canon revolver, 4 minen et 8 mitrailleuses. L'avance de 4 kilomètres réalisée dans la matinée, se réduit à la possession des trois lignes de tranchées de la première position allemande.

Le lendemain et les jours suivants, le régiment reste sur place pour soutenir, les attaques menées par d'autres corps. Le 22 avril, le régiment était relevé et conduit en autos à Ay, pour y panser ses plaies et reformer ses cadres et ses effectifs. Certaines compagnies ne comptaient plus que 12 hommes.



Après l'offensive.


Du 22 avril au 4 mai, le régiment séjourne à Ay. C'est là qu'il reçoit ses renforts. Le 5 mai, il faut quitter ces lieux enchanteurs. Des camions transportent le régiment à Ville-enTardenois. Du 5 au 21 mai, nous occupons les baraquements situés à l'ouest de Ville-en-Tardenois. C'est le temps de la remise en main des compagnies.<:p>

Le 22 mai, le régiment reprend sa marche vers les lignes et arrive à Courcelles. Il faut relever la 46ème D. 1. au secteur de Loivre et occuper le village de ce nom, la verrerie, la station et la voie ferrée, l'écluse de Noue -Gouzaine, au pied de la batterie de Loivre, aux mains ennemies. Dans la nuit du 31 mai au 1er juin, les Boches essaient de faire un coup de main sur les postes du 1er bataillon. Ils échouent, nous leur tuons 3 hommes; un sous-officier et un blessé restent entre nos mains.

Du 9 au 20 juin, le régiment va au repos dans le charmant pays de SaintBrice-Courcelles.





Jean Pierre MADOR est tué le 28 juin 1917 dans le secteur du Poivre (Vosges).

Il fut enseveli sous un abri effondré par un obus de gros calibre.